Le prospectus de l'établissement de Choranche-les-Bains
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soulève un certain nombre de questions.
Il faut préciser d'abord que l'hydrothérapie (terme employé sur la couverture du
prospectus de l'établissement de Choranche-les-Bains) n'a jamais été une branche
orthodoxe de la balnéothérapie des stations thermales classiques du type Uriage
(également en Isère). L'hydrothérapie, d'après Wikipédia, serait « une méthode
thérapeutique ancienne, mais non démontrée, qui consiste à traiter, soigner et
prévenir par l'usage de l'eau en invoquant une vertu curative d'ordre divin ». Dès que
l'on tombe sur l'expression « d'ordre divin », il est inutile, me semble-t-il, de
poursuivre l'affaire plus loin. On serait franchement dans
le domaine du charlatanisme... et l'adjectif « médical » n'y changerait rien !
Allusions historiques douteuses
Le prospectus débute par deux paragraphes censés être historiques. On évoque d'abord
la présence romaine à l'époque de l'ancienne Gaule, puis on aborde la période où le
domaine appartenait aux moines chartreux.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'ensemble de ces propos étonne. L'auteur anonyme
du prospectus donne l'impression de parler de sujets familiers, qui sont effectivement
bien maîtrisés par les historiens depuis un certain temps. Mais la manière dont le
prospectus en parle est totalement fantaisiste, comme si son auteur cherchait
délibérément à faire de l'esbroufe. Voici mes critiques du contenu de ces deux curieux
paragraphes, point par point :
Tout d'abord, l'auteur n'utilise à aucun moment, ni dans ces deux paragraphes
« historiques » ni ailleurs dans le prospectus, le nom réel du domaine :
le clos de Salomon. Ce nom ancien figure pourtant explicitement dans
divers documents officiels où il est question de ce domaine, et notamment dans l'acte
de vente de 1543 concernant l'acquisition de ce domaine par la chartreuse du Val
Sainte-Marie à Bouvante. L'absence de ce nom historique dans le prospectus suggère,
très probablement, que l'auteur l'ignorait tout simplement.
Des vestiges romains trouvés à Choranche ? Ça me semble peu vraisemblable, d'autant
plus que les archives archéologiques de l'Isère que j'ai pu consulter n'en parlent
jamais. Dans les premières pages de ses Lettres historiques sur le Royans,
notre cher abbé Vincent, habitué à faire feu de tout bois, mentionne effectivement
certains artéfacts romains dont l'existence était bien réelle, trouvés entre
Pont-en-Royans et Saint-André-en-Royans. Mais il ne suggère pas un instant
qu'il pût y avoir des vestiges de thermes romains sur le territoire de Choranche !
J'ai donc l'impression que l'auteur du prospectus ait inventé de toute pièce ce
supposé élément historique.
L'auteur du prospectus évoque une charte de 1144 mentionnant un don à un certain
« monastère des Chartreux » (dont l'identité n'est pas indiquée) fait par
« Artaud, évêque de Grenoble ». Le seul problème, c'est qu'Artaud était évêque
de Grenoble entre 1036 et 1058 : c'est-à-dire, un petit demi-siècle avant
même la création par saint Bruno de l'ordre des moines chartreux ! On peut donc
penser que l'auteur du prospectus, encore une fois, dit un peu n'importe quoi...
probablement dans le but d'impressionner ses lecteurs
(clients potentiels des bains de Choranche).
La date de 1144, par contre, est bien familière. Ce fut l'année où Guigues V, comte
d'Albon, donna le domaine du Val Sainte-Marie (Bouvante) aux chartreux... selon une
tradition ancienne. Mais « il subsiste un problème majeur » (comme dit le grand
historien Michel Wullschleger) : c'est que l'on n'a jamais trouvé dans les
archives la moindre preuve de la réalité de cette donation fondatrice. L'idée donc
qu'il serait question là-dedans d'une supposée source à Choranche (quelques 15 km
au nord du Val Sainte-Marie) est hautement farfelue... d'autant plus que le dauphin
de Viennois n'a jamais, à aucun moment dans l'histoire du Royans, possédé quelque
terrain que ce soit aux alentours de Choranche, où tout faisait partie depuis longtemps
des terres de la famille Bérenger, seigneurs de Sassenage. Donc, encore une fois,
le prospectus des bains tente de nous imposer de la mauvaise « histoire ».
La dernière phrase des paragraphes incriminés dit que la « Source des Chartreux »
serait passée, depuis 1793, « par différentes mains ». L'auteur du prospectus, s'il
voulait vraiment nous renseigner sur ce domaine, aurait pu indiquer (la moindre des
choses) l'identité de son employeur. Aujourd'hui, un chercheur pourrait prendre
éventuellement le temps qu'il faut pour savoir qui, exactement, a lancé toute cette
affaire des bains de Choranche. Par la même occasion, ce chercheur pourrait
nous décrire les circonstances dans lesquelles cette bulle promotionnelle
aurait éclaté... car on a cessé de parler, à un certain moment, des fameux bains de
Choranche. Mystère.