CHORANCHE

Récit d'une journée tragique : le 28 juillet 1944

Le prêtre Joseph Parsus [1925-2010] a reconstitué un chapître de l'histoire de la Résistance locale dans son petit ouvrage Malleval — Dans la Résistance. Voici un extrait de cet ouvrage (pages 184-186) qui évoque la descente des soldats allemands de Presles à Choranche, le 28 juillet 1944 :

SAINT-ANDRÊ-EN-ROYANS.

Cette commune, située sur le piémont entre St-Romans et Pont-en-Royans, compte parmi ses habitations éparses la ferme des Arnaux, à la limite de la commune de Choranche, dans une haute vallée très éloignée du bourg.

Le 28 juillet, vers 11h du matin, par le sentier qui vient de Presles, descend un groupe d'Allemands. La famille Idelon, père, mère et deux grands fils, est occupée à la moisson. Devant l'arrivée des Allemands, ils sont pris de panique. A la maison, les Allemands demandent qui est le chef de famille. Le père va s'avancer lorsqu'il est devancé par son fils aîné Auguste, 27 ans ; les mitraillettes sont braquées vers lui. Soudain, inexplicablement, d'un bond, il est dehors et se sauve en contrebas. Les Allemands sont sortis et tirent. Il est blessé à l'épaule et le long du corps, mais continue à courir tandis que quelques soldats se lancent à sa poursuite. Arrivé à la ferme des Champs, tenue par son oncle Régis, Auguste, sans arrêter sa course, crie : « Sauvez-vous, les Allemands sont là ! » et, par le sentier qu'il connaît bien, il dévale vers la Bourne qui coule paisiblement à 230m d'altitude. Il la traverse à Catinon et prend le chemin en direction de Pont. Arrivé là, il s'engage dans la Grand'rue et va s'écrouler, épuisé, dans un passage couvert entre deux maisons.

Pendant ce temps, les poursuivants sont arrivés à la ferme des Champs. Voyant l'ouvrier agricole de Régis Idelon, le Pontois Auguste Gauthier, ils le prennent pour le fuyard, le capturent, l'insultent, le brutalisent, l'amènent aux Arnaux, le conduisent derrière la maison et le fusillent. Un porte-monnaie tombe de la poche du malheureux. Les Allemands le prennent et l'apportent aux parents. Ceux-ci voient que ce n'est pas celui d'Auguste ; ils restent de marbre. Furieux, les Allemands se saisissent du deuxième fils, Georges, l'amènent à Presles, l'enferment dans la maison forestière, pas loin de l'église. Le soir, ils le font sortir pour aller chercher un peu de paille à une meule. Le long du trajet, Georges fausse compagnie à ses gardiens. Ceux-ci tirent, d'autres sentinelles tirent également, sans l'atteindre. Un jeune du pays, qui se trouve proche de l'une des sentinelles, constate : « Visiblement la sentinelle qui était à quelque distance de moi tirait devant ses pieds. » Le même ajoute : « Un Allemand, chez nous, disait : "Marre, guerre, marre, guerre, nicht gut" et il pleurait. »

Connaissant parfaitement le terrain, Georges attend la nuit et, avec beaucoup de prudence, se dirige vers la meilleure cache qui existe dans les parages, Vialange. Sa surprise est énormé, en y arrivant, d'y trouver ses parents sains et saufs.

Mais la famille n'est pas au bout de ses peines. A Pont, Auguste a été vu et reconnu par des gens. Ils sont allés aussitôt avertir sa sœur et son beau-frère qui habitent pas très loin. Il est transporté chez eux. On cherche le docteur, qui est absent. Une ancienne infirmière nettoie ses plaies, lui fait des piqûres pour atténuer sa souffrance, le veille toute la nuit. Mais, gravement blessé, ayant perdu beaucoup de sang, il meurt dans la nuit, vers 4h du matin.

Que faire à présent ? On ne peut l'inhumer à Pont sans attirer l'attention de l'occupant ; le cimetière est trop en vue. Une seule solution : aller à Saint-André-en-Royans, qui est d'ailleurs sa commune. Le maire de Pont prend sur lui de délivrer un permis d'inhumer et une autorisation de transport. Au petit matin, le cercueil est emmené avec la plus grande discrétion, pendant qu'au cimetière de Saint-André-en-Royans on creuse la fosse. L'après-midi, vers 16h, une très modeste cérémonie a réuni au cimetière les parents d'Auguste, ses sœurs et beaux-frères, quelques autres personnes et le prêtre. Leur office n'est pas terminé qu'ils voient s'élever derrière la montagne une épaisse colonne de fumée. Ils devinent de suite ; leur ferme des Arnaux flambe. Les Allemands y sont en effet revenus, pensant peut-être retrouver Georges. Ne voyant personne, ils se sont sans doute crus joués... Quant à la ferme des Champs, sur la commune de Choranche, elle subira le même sort.

Commentaires de William : Au milieu de son exposé, Joseph Parsus emploie le nom « Vialange » comme s'il désignait la ferme des parents d'Auguste Idelon. Il s'agit d'un chemin non-carrossable qui part de la commune de Saint-André-en-Royans en direction de la ferme des Arnaux. Pour des véhicules, l'unique accès au domaine des Arnaux se trouve du côté de la commune de Choranche. Le chemin des Arnaux quitte la route D292 (entre Pont et Presles) au niveau de l'emplacement de l'ancienne maison de Régis Idelon, reconstruite à la suite du drame des deux assassinés de juillet 1944. La ferme des Arnaux, elle aussi, a été reconstruite. De nos jours, à cet endroit, on découvre deux merveilleux gîtes créés par Ludovic Gailledrat [site web].