CHORANCHE

Au commencement...


Les explications scientifiques sur la jeunesse de notre vieille planète Terre ont parfois un ton quasiment « biblique ». C'est-à-dire qu'il y avait autrefois une seule terre, la Pangée, entourée d'une seule mer, la Panthalassa.

Certes, on ne parle pas d'un Saint Esprit qui soufflait sur les eaux... mais il y avait tout de même une mention explicite (dont je ne peux être qu'immensément fier) de mon Australie natale ! Et l'on peut apprécier l'imagination d'un géologue qui décrit la forme de la Pagnée comme « une sorte de Pac-Man avec la gueule ouverte vers l'est ».

Pour rassembler ses éléments sous la forme de cette masse compacte que l'on voit dans le plan, la Pangée a pris le temps qu'il fallait : quelques 200 millions d'années ! C'est-à-dire que, sur le tableau des âges géologiques affichée à la page précédente, ça correspond à la presque totalité de la partie archaïque du serpent en rouge. Hélas, depuis le Triasique, notre chère Pangée a passé tout autant de temps à se disloquer... d'où le célèbre phénomène de la tectonique des plaques (bonjour les tremblements de terre et les tsunamis). Toujours est-il que, sans ce processus lent de dislocation de la Pangée, il n'y aurait pas aujourd'hui la disposition familière de nos fameux sept continents. Mais revenons à nos moutons archaïques...

Au cours du Trias (autre nom du Triasique), une grande brèche s'est formée dans la gueule de la Pangée, au niveau de ce qui est notre équateur actuel... et l'ancien continent unique était sur le point de se scinder en deux : Laurasie au nord et Gondwana au sud. Entretemps, une mer de séparation a fait son apparition : la Téthys.

Ne soyons pas tentés d'aller plus vite que la musique. Malgré les apparences, il ne s'agissait pas encore de la séparation entre l'Europe et l'Afrique. Il y avait tout au plus un rifting (écartement de plaques en jargon tectonique) au Jurassique inférieur donnant lieu à la création d'un soi-disant paléo-océan, au niveau du futur sud de la France, qu'on appelle parfois l'Océan alpin, qui s'est rempli rapidement (toute proportion gardée) de sédiments. Des géologues pleins d'imagination [Patrick Marcel et Didier Quesne] ont suggéré que ce petit océan idyllique devait ressembler un peu à ce qu'est de nos jours la Grande Barrière de corail en Australie :

Il faut imaginer un bord de bassin marin sous un climat tropical, parfois longé par une barrière de corail battue par les vagues du large et affleurant à peine de l'eau turquoise à 27 °C d'un paisible lagon......

Une aquarelle célèbre peinte par Henry de la Bèche en 1830 aurait pu nous donner une certaine idée de l'ambience marine au cœur du futur Vercors il y a deux millions d'années... mais l'artiste exprimait en fait sa vision romantique d'une mer de la même époque en Angleterre !

Hélas, ce petit océan de rêve n'a pas résisté longtemps à l'inexorable mouvement des deux plaques qui se rencontraient à cet endroit : la plaque adriatique et la gigantesque plaque eurasienne. Au Crétacé supérieur, la petite océan alpin a disparu tout aussi vite qu'il est apparu, mais un processus de collision continentale (dite subduction) fit émerger à sa place, des bas-fonds de la Terre, tout un ensemble de sommets montagneux : les Alpes. On a perdu un océan, mais on a obtenu, à sa place, une magnifique chaîne de montagnes. On pourrait donc dire que le sud-est de la France a été gagnante dans cette affaire !

Les eaux de l'océan alpin ont certes disparu pour toujours, mais d'immenses quantités de sédiments calcaires en provenance du fond de l'ancien océan sont remontées à l'air libre, et constituent ce que les géologues appellent des falaises urgoniennes.

Ayant soulevé les anciens fonds marins, les gigantesques forces telluriennes ont tordu et fait plier les couches calcaires dans tous les sens. Quand une couche se déforme pour former un creux, on parle d'un synclinal ; quand elle forme une bosse, on parle d'un anticlinal. De part et d'autre du cirque de Choranche, la plupart des couches calcaires sont de forme anticlinale... avec toutefois une exception remarquable : la falaise qu'on appelle Tina Dalle, au-dessus du col de Toutes Aures, exploitée comme lieu d'apprentissage de l'escalade.

A droite de cette falaise, une grande cuvette s'étend vers l'est, au-dessus du joli petit tunnel aérien au dernier virage de la route entre Choranche et Presles. C'est un synclinal qui se termine de façon abrupte, juste après le tunnel, par un accident géologique parfaitement visible : la faille de Presles, qui descend jusqu'à la Bourne. C'est net : à gauche de la faille, le terrain forme un creux ; à droite, une bosse. On dirait que Tina Dalle avait tenté de glisser sous les falaises de Presles, mais que celles-ci l'ont empêchée d'aller plus loin.